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Revue Zizanie

Marginalités fécondes — vol. 3, no 1, automne 2019

L’exil en situation d’exiguïté dans la francophonie internationale
Dossier

Observer le grand à partir du petit
Par Julie Delorme et Simon Harel

Le phénomène de la mondialisation a entraîné une transformation significative des sociétés occidentales contemporaines, tant aux points de vue économique, social, politique, démographique que culturel et communicationnel. En effet, l’ouverture des marchés financiers a, en grande partie, provoqué un accroissement important des flux migratoires internationaux. Or, la diversité culturelle engendrée par tous ces déplacements sur l’échiquier planétaire a influencé non seulement l’ensemble des cultures majoritaires, mais aussi les cultures de l’exiguïté, c’est-à-dire ces cultures minoritaires, postcoloniales, insulaires, ou ces petites cultures nationales (Paré, 2001, [1992], p. 26), trop souvent en marge des discours dominants comme ceux issus de la France, par exemple. C’est donc à partir de ces «microcultures», formant des ensembles cohérents et unifiés (et non pas uniquement des fragments épars d’une culture hégémonique), que ce numéro, «L’exil en situation d’exiguïté dans la francophonie internationale», souhaite interroger l’expatriation dans son rapport à l’espace. Observer le grand (le macroscopique) à partir du petit (le microscopique, voire le nanoscopique, comme le suggère Castillo Durante), tel est l’objectif principal des quatre articles présentés ici, qui tentent, chacun à leur manière, de concevoir et de comprendre l’exil dans sa complexité.

Ce numéro propose ainsi des réflexions sur ce phénomène mondialisé, envisagé dans des contextes minoritaires au sein de la francophonie internationale, que ce soit la Martinique, le Sénégal, l’Ontario français ou même le Québec, qui relève d’une minorité spatiolinguistique au sein des Amériques. À l’ombre des cultures majoritaires, les cultures de l’exiguïté dont il est question dans ces pages — précaires à certains égards, mais pas inférieures ni mineures ni subordonnées — luttent contre vents et marées pour leur survie. Faisant preuve d’une étonnante capacité de résilience, ces petites communautés contribuent à une «ouverture et une intervention sur le monde» (Paré, 2001, [1992], p. 70). Bien qu’elles soient en retrait et qu’elles passent souvent sous le radar des discours dominants, les cultures minoritaires contribuent à la fois au dynamisme, à la diversité et à l’équilibre de l’écosystème culturel de nos sociétés occidentales contemporaines. La force ne réside-t-elle pas dans le minuscule, comme le laisse entendre le récit de Daniel Castillo Durante présenté dans ce numéro ?

Dans son article, Morgan Faulkner analyse le discours métatextuel de l’écriture de l’intime en situation d’exil géographique, culturel et littéraire dans Écrire en pays dominé du Martiniquais Patrick Chamoiseau et dans Mes hommes à moi de la Sénégalaise Ken Bugul. L’article étudie, dans une perspective comparatiste, la difficulté qu’ont ces auteurs à réorienter leur regard sur leur vie intime et sur l’écriture du Soi, et la manière dont l’expérience de l’errance — et, par conséquent, de l’exil — influence la représentation des protagonistes ainsi que la forme de leurs textes respectifs. Le texte de Julie Delorme interroge, quant à lui, dans une perspective essentiellement théorique, le phénomène de l’exil à partir d’un microcorpus, celui des écritures migrantes en Ontario français. Plus particulièrement, il s’efforce de définir le concept d’exiluité (l’exil en situation d’exiguïté) proposé par François Paré (2001, [1992]) afin d’en faire ressortir les conditions de possibilité. Les paroles migrantes produites en milieu minoritaire, marginalisées par rapport aux cultures dominantes, sembleraient donc inhérentes à l’expérience de l’ex-il (le fait d’être loin d’un lieu qu’on regrette) en situation d’ex-iguïté (le fait d’être en «dehors» d’un espace donné). La parole migrante franco-ontarienne, comme toutes ces écritures issues des communautés culturelles émergeant de «petites» cultures, est soumise à une double minorisation en ce qu’elle constitue la minorité d’une minorité.

Le travail de Simon Harel développe, lui aussi, à la lumière du concept d’exiluité proposé par Paré, une réflexion théorique sur cette notion phare au cœur des littératures minoritaires en mettant l’accent sur deux dialectiques: l’ouverture et la contrainte, de même que le caractère ample et tendu de l’acte de pensée. Le chercheur, qui rappelle qu’«une littérature minoritaire n’est pas déterminée par sa seule dimension démographique, de même qu’elle n’est pas enclose dans l’écrin du territoire», propose une théorie de l’exiguïté, envisagée comme un nouvel universalisme. Enfin, l’écrivain Daniel Castillo Durante clôt ce numéro en offrant un texte à cheval entre la création littéraire et la réflexion théorique, axé sur l’infiniment petit dans son rapport à l’exil. La première partie du texte raconte le parcours «topographique » d’un enfant myope devenu écrivain. Celui qui est habité par les vastes espaces andins découvre ironiquement dans la nanification des lieux et de l’altérité la clé de voûte de son écriture. Le récit tend ainsi à montrer le pouvoir insoupçonné d’un au-delà de l’exiguïté, voire de l’invisible. La seconde partie du texte, plus ludique, met en scène un personnage, lui aussi motivé par le nanoscopique, mais aussi par l’appât du gain, dans une société mexicaine menée par un capitalisme débridé, même baroque. Par ailleurs, ce texte explore la notion de petitesse jusque dans sa forme narrative. Le choix du microrécit vient appuyer une démarche artistique orientée vers la miniature. Genre littéraire encore plus bref que la nouvelle (mais qui ne relève nullement du fragment), le microrécit met en scène un sujet engagé dans une aventure, mis à l’épreuve et assujetti à un effondrement radical.
Bibliographie
Paré, François. 2001 [1993]. Les littératures de l’exiguïté. Ottawa: Le Nordir. Coll. «Bibliothèque canadienne-française», 230 p.

​Responsables

Julie Delorme (Université d’​Ottawa)
Simon Harel (Université de Montréal)



Textes

«Intime et errance dans Écrire en pays dominé de Patrick Chamoiseau et Mes hommes à moi de Ken Bugul»
Morgan Faulkner (Lakehead University)
​
«Le phénomène de l’exiluité et ses conditions de possibilité dans la littérature franco-ontarienne»
Julie Delorme (Université d’Ottawa)

«Figures de l’exil: contiguïté, exiguïté et exiluité»
Simon Harel (Université de Montréal)

«De l’infiniment petit en littérature. Espaces nanoscopiques»
Daniel Castillo Durante (Université d’Ottawa)

Texte introductif téléchargeable ici:
Delorme & Harel - Zizanie A19.pdf
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Notices biobliographiques

Julie Delorme est professeure à temps partiel au Département de français de l’Université d’Ottawa. Détentrice d’un doctorat en lettres françaises de l’Université d’Ottawa et d’un postdoctorat en littérature comparée de l’Université de Montréal (subventionnés par le CRSH),​ elle a publié de nombreux articles sur les littératures française, québécoise et franco-ontarienne des XXe et XXIe siècles qui interrogent le rapport entre l’espace (en tant qu’altérité majeure) et la parole littéraire à partir d’une approche essentiellement phénoménologique. Ses recherches actuelles portent notamment sur les écritures de l’enfermement et de l’exil.

Simon Harel est professeur titulaire au Département de littératures et de langues du monde de l’Université de Montréal. Il est directeur du Laboratoire sur les récits du soi mobile et codirecteur du Centre de recherche des études littéraires et culturelles sur la planétarité. Depuis quelques années, Harel propose des essais-fictions qui font place à la subjectivité du chercheur, dans une réflexion mettant en cause les lieux communs de l’identité. Directeur d’ouvrages collectifs, auteur de nombreux essais, écrivain, responsable de numéros de revues, il a plus de cinquante publications à son actif. Il a fait paraître récemment La respiration de Thomas Bernhard (Nota bene, 2019), Signaux faibles (2019), un ouvrage tiré à compte d’auteur et à édition limitée avec Marie-Christiane Mathieu, et La mort intranquille: autopsie du zombie (PUL, 2019), codirigé avec Jérôme-Olivier Allard et Marie-Christine Lambert-Perreault.

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ISSN 2561-4622
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