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Rencontres interespèces et hybridations: l’animal et l’​humain — vol. 4, no 1, automne 2020

Rencontres interespèces et hybridations: l’animal et l’​humain
Dossier

L’animal·e et l’humain·e, aux sources de la réflexion[1]
Par Fanie Demeule et Marion Gingras-Gagné

L’espèce humaine a constamment eu à négocier sa place au sein d’écosystèmes comportant d’autres espèces animales, comme en témoignent les diverses cosmogonies mettant en scène des rencontres entre humains et animaux, les fables et bestiaires ou les récits de métamorphoses. Il suffit en effet de penser au serpent séducteur du Jardin d’Eden, à la forme bovine de Zeus, à la bataille entre Odin et le loup Fenrir, ou encore aux multiples transformations d’Ovide. Qu’ils soient religieux, philosophiques, satiriques ou merveilleux, les récits des traditions orales puis écrites ont réinvesti ces types de rencontres et de croisements entre humanité et animalité, qui sont en quelque sorte devenus emblématiques de certains genres, comme le conte ou la fable.

L’anthropocentrisme occidental et, dans son sillage, la pensée humaniste ont fermement positionné les humain·es comme une espèce supérieure, chargée de gérer l’ordre du monde. Ainsi, l’humanité s’est définie, par contraste et de façon binaire, par rapport à l’animalité. Comme le souligne Agamben: «C’est seulement parce que quelque chose comme une vie animale a été séparé à l’intérieur de l’homme, parce que la distance et la proximité avec l’animal ont été mesurées et reconnues […] qu’il est possible d’opposer l’homme aux autres vivants et en même temps d’organiser la complexe — et pas toujours édifiante — économie des relations entre les hommes et les animaux.» (2002, p. 33)

Les avancées des mouvements environnementaliste (notamment depuis le début des années 1960) et écoféministe (à partir des années 1970), de même que la popularisation du concept d’anthropocène par Paul Crutzen au tournant des années 2000 ont néanmoins contribué à l’élaboration d’une pensée écocritique majeure, non seulement dans les domaines scientifiques et sociaux, mais aussi dans les arts et les lettres. Désormais, les chercheur·es et citoyen·nes conscient·es des conséquences des abus passés et présents tentent de réévaluer les rapports entretenus avec les autres espèces et règnes du vivant, car «si la césure entre l’homme et l’animal passe d’abord à l’intérieur de l’homme, c’est alors la question même de l’homme — et de l’humanisme — qui doit être posée de manière nouvelle» (Agamben, 2002, p. 33).

En émergence depuis une cinquantaine d’années, le champ multidisciplinaire et bouillonnant des études animales invite à une «remise en question de la différence humain/animal et des représentations traditionnelles des animaux», tout en revendiquant un «progrès des droits des animaux ou du bien-être animal» (Delon, 2015, p. 188). Les études humain-animal (Human-Animal Studies), apparues dans les années 1990, examinent quant à elles la construction des relations interespèces et leurs implications politiques et sociales.

Majoritairement issues du colloque L’animal et l’humain, qui s’est déroulé à l’Université de Montréal en avril 2018 sous la direction de Jérôme-Olivier Allard, Fanie Demeule, Marion Gingras-Gagné et Marie-Christine Lambert-Perreault, les contributions de ce numéro — le premier d’un diptyque — entendent étudier les représentations des rapports interespèces dans une pluralité de productions artistiques ainsi que dans l’imaginaire socioculturel occidental depuis le milieu du 20e siècle. Cette rencontre a permis de réfléchir aux discours et aux différentes formes de représentations qui traversent les multiples sphères socioculturelles. Les disciplines concernées sont nombreuses et entrent ici en dialogue: études littéraires, études théâtrales, histoire de l’art, sémiologie, anthropologie, sociologie, psychologie, philosophie, écologie, etc. Nous avons aussi la chance de présenter deux textes inédits qui empruntent les voies de l’imaginaire pour réfléchir aux relations interespèces.

Valérie Bienvenue se penche sur l’œuvre Horse’s Tale (1999), de la série Porous Bodies, où l’artiste australienne Julie Rrap offre une «photographie de son postérieur coiffé d’une queue de cheval»: «la perméabilité des frontières entre l’animal humain féminin et l’animal non humain équin» est envisagée «à travers les prismes de la déconstruction et des études de genres et des sexualités».

Philippe Manevy nous offre une analyse dramaturgique de trois pièces: e (2005) de Daniel Danis, Agricoles (2014) de Catherine Zambon et Habiter les terres (2016) de Marcelle Dubois, par lesquelles il réfléchit à la figuration et à «l’inscription de l’humain dans son milieu, selon des modalités diverses, mais toujours à travers une dramaturgie chorale». Il s’agit pour lui de voir «comment la choralité contemporaine permet de concevoir des “communautés mixtes” (G. Di Chiro), associant humains et non-humains».

Dinaïg Stall nous ouvre les portes des arts de la marionnette contemporains et réfléchit aux possibilités offertes par ceux-ci pour «subvertir les catégories et hiérarchies qui [séparent l’humain·e] des autres espèces animales». Son article analyse «à la fois les limites et les potentialités spécifiques à la marionnette contemporaine pour politiser notre rapport aux animaux non humains et faire ainsi vaciller la position sociale subalterne qui leur est assignée».

Jean-Baptiste Bernard présente les travaux des penseurs André Beauchamp et Hélène et Jean Bastaire, qui réévaluent l’apport du christianisme «aux débats entourant l’écologie et la condition animale». Il met en évidence comment les auteurs observent «[p]lusieurs tendances visant à l’adoption d’un comportement plus responsable à l’égard des animaux» dans le christianisme contemporain, la mise en place «d’un anthropocentrisme constitutif relativisé par la responsabilité éthique et économique», ainsi qu’«une revalorisation spirituelle de la relation à l’animal».

Mélanie Maillot s’intéresse aux personnages chasseurs du roman La vraie vie (2018) de l’autrice belge Adeline Dieudonné, à partir desquels elle initie une réflexion sur les rapports qu’entretiennent les humain·es avec la nature et les animaux, «mais aussi sur les valeurs socioculturelles qui organisent les relations interespèces». Par une observation de l’imaginaire de la prédation, elle souhaite «rendre compte des rapports de force entre humain et animal» et, par cela, «exposer la tension entre deux concepts clés: nature et culture».

Elle-même bénéficiaire de l’aide d’un chien d’assistance, Elisanne Pellerin nous invite, dans son article, à «mieux connaître les chiens d’assistance au Québec» et à découvrir les nombreux «bienfaits qu’ils apportent, particulièrement chez les personnes en situation de handicap». Elle nous montre comment, en plus d’«accroître l’autonomie physique, ces chiens contribuent à la diminution du stress, à l’augmentation de l’estime de soi et facilitent les relations interpersonnelles».

Anne-Sophie Miclo observe les environnements créés par l’artiste Pierre Huyghe, dans lesquels «des acteurs de natures diverses (éléments vivants, objets inanimés, technologies, etc.) sont présents et dessinent un réseau de relations complexes». Elle montre comment certains projets de Huyghe «constituent une occasion de repenser les rapports interespèces à travers la mise en place “d’un monde en soi”, contrant l’emprise de l’anthropocentrisme qui caractérise les sociétés occidentales».

Dans «On était vivant ensemble», une nouvelle s’apparentant à une fable contemporaine, l’auteur Simon Dansereau-Laberge met en scène un homme recevant une convocation à la Cour spéciale d’amendements des affaires zooanthropiques: «[i]l aurait tenu des propos diffamatoires envers la communauté des Lupus, aurait personnifié leurs traits et entaché leur honneur». Dansereau-Laberge «fait le pari d’interroger la portée des concepts de personne morale ou personnalité juridique» une fois ceux-ci accordés à l’animal.

Avec son texte «Brûlures», l’autrice Élise Warren propose une réflexion écoféministe intersectionnelle à travers une création hybride: un essai autofictionnel teinté de réalisme magique. Établissant des parallèles entre les violences faites aux corps des femmes, aux animaux et à l’environnement, Warren dénonce les multiples brûlures causées par un système patriarcal anthropocentré.

Note

[1] Ce texte introductif est inspiré de l’appel à communications rédigé par Jérôme-Olivier Allard, Fanie Demeule, Marion Gingras-Gagné et Marie-Christine Lambert-Perreault (2017) en regard du colloque L’animal et l’humain. Représenter et interroger les rapports interespèces.

Bibliographie

​Agamben, Giorgio. 2002. L’ouvert. De l’homme et l’animal. Paris: Payot & Rivages, 142 p.
Allard, Jérôme-Olivier, Fanie Demeule, Marion Gingras-Gagné et Marie-Christine Lambert-Perreault. 2017. « Appel à communications ». Colloque L’animal et l’humain. En ligne. https://animalethumain.weebly.com/appel.html.
Crutzen, Paul J. et Eugene F. Stoermer. 2000. « The “Anthropocene” ». Global Change, NewsLetter (IGBP), no 41, mai, p. 17-18.
​Delon, Nicolas. 2015. « Études animales: un aperçu transatlantique », Tracés. Revue de Sciences, humaines, dossier « Traduire et introduire », no 15, hors-série, p. 187-198.

​Responsables

Fanie Demeule (Université du Québec à Montréal)
Marion Gingras-Gagné (Université du Québec à Montréal)


Textes

«Horse’s Tale de Julie Rrap: quoi penser quand une femme porte la queue d’un cheval?»
Valérie Bienvenue (Université de Montréal)

«Repenser la communauté: la relation interespèces dans trois pièces chorales contemporaines»
Philippe Manevy (Université de Montréal)

«Anima[L]: les formes marionnettiques comme outil de représentation et de subversion de l’animalité»
Dinaïg Stall (Université du Québec à Montréal, École supérieure de théâtre)

«Animal et tradition chrétienne: avec Hélène et Jean Bastaire et André Beauchamp»
Jean-Baptiste Bernard (Université de Zagreb)

«L’univers de la prédation dans La vraie vie d’Adeline Dieudonné: une matérialisation des valeurs socioculturelles constitutives de la pensée spéciste»
Mélanie Maillot (The University of Adelaide)

«Les bienfaits des chiens d’assistance sur le bien-être psychologique des utilisateurs en situation de handicap et leur intégration sociale»
Elisanne Pellerin (Université du Québec à Montréal)

«Hybridité(s) et rapports interespèces dans les écosystèmes de Pierre Huyghe: permettre à d’autres réalités d’exister»
Anne-Sophie Miclo (Université du Québec à Montréal)

«On était vivant ensemble»
Simon Dansereau-Laberge (UQAM et U. Paris 8)

«Brûlures»
Élise Warren (Université du Québec à Montréal)

Texte introductif téléchargeable ici:
Demeule et Gingras-Gagné - Zizanie A20.pdf
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Notices biobliographiques

Fanie Demeule est responsable éditoriale des maisons Tête première et Hamac, spécialisées en fiction littéraire. Chargée de cours à l’UQAM, d’où elle est diplômée du doctorat en études littéraires, elle s’intéresse aux représentations des femmes en fiction contemporaine, à la culture populaire, à la mythocritique et aux récits de soi. Son premier roman, Déterrer les os (Hamac, 2016), a été adapté en pièce de théâtre (Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, 2018), a été traduit en anglais (Linda Leith, 2020) et est en cours d’adaptation filmique (court métrage, Coop Vidéo; long métrage, ACPAV). Elle a publié un deuxième roman, Roux clair naturel (Hamac, 2019), présent sur la liste préliminaire du Prix des libraires 2020, a codirigé des collectifs littéraires (Stalkeuses, Québec Amérique, 2019; Cruelles, Tête première, 2020), ainsi que des dossiers de recherches académiques.

Marion Gingras-Gagné poursuit actuellement des études doctorales en littérature à l’Université du Québec à Montréal, où elle est dirigée par Lori Saint-Martin. Ses intérêts de recherche vont des études féministes à la culture populaire, en passant par la littérature québécoise contemporaine, les contes et la littérature jeunesse. Elle a publié des articles scientifiques dans Pop-en-stock, Postures et FéminÉtudes, ainsi que des nouvelles de création dans les revues Cavale, Nyx et Zeugme. Elle est auxiliaire d’enseignement à l’UQAM et œuvre dans le milieu de la critique en tant que collaboratrice pour la revue Lurelu. Elle est boursière du FRQSC.

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